Fin 2017, Tim Cook rendait visite aux équipes de la PME Eldim. Nichée au coeur du Calvados, près de Caen, cette société d’une soixantaine de salariés, travaille avec tous les plus grands constructeurs mondiaux type Samsung, Apple, LG… et fournit, entre autres, l’une des technologies permettant à l’iPhone X d’offrir la reconnaissance faciale de l’utilisateur.
L’histoire débute dans les années 80 au sein du Laboratoire Leti à Grenoble. Pendant une dizaine d’années, Thierry Leroux dirige un service dont la mission consiste à développer des équipements électroniques permettant de mesurer les écrans (affichage, éclairage, longueur d’ondes, visualisation d’informations, couleurs…) : « les écrans sont la première chose que les gens voient. Quand ils achètent une TV, un smartphone, un ordinateur ou une tablette, c’est la principale chose qu’ils regardent. ».
À cette époque, les mesures telles qu’elles sont faites au Leti, sont très longues : « l’équipement mesurait dans un axe puis se déplaçait pour mesurer un autre axe et ainsi de suite. Les mesures étaient faites les unes après les autres. Une mesure durant a peu près une seconde, il fallait à peu près 5 000 secondes soit plus d’une heure pour contrôler l’intégralité d’un écran. Ce n’est absolument pas envisageable sur une chaine de fabrication constructeur ! ». En 1992, Thierry quitte le Leti et crée Eldim pour mettre au point, avec son équipe, une technologie qui permet de mesurer un écran en une seule fois. De plusieurs heures à quelques secondes pour mesurer un écran, la technologie proposée par Eldim est une avancée énorme pour les laboratoires.
L’avénement du règne de la mesure
Après deux années de R&D, la technologie Eldim est prête. Le premier concept est présenté aux Etats-Unis au cours d’une conférence en octobre 1994. Très vite ils commencent à vendre outre Atlantique aux laboratoires des fabricants des TV, ordinateurs et des premiers téléphones portables… « dès décembre 1994, nous livrions nos premières machines chez Xerox, IBM, AT&T, fabricants d’écrans de cockpit… et très vite la production s’est déplacée au Japon avec des marques comme Matsushita, Hitachi, Sharp, Nec… ». Pendant cette première période, les clients principaux d’Eldim sont les laboratoires d’écrans plats, notamment à leds et cristaux liquides, au sein desquels les équipes travaillent en R&D sur de nouvelles technologies.
Mais pendant la première décennie des années 2000, les smartphones, ordinateurs portables et tablettes envahissent notre quotidien. L’équipe d’Eldim comprend très tôt qu’elle doit faire évoluer ses produits pour permettre d’appliquer leurs technologies développées pour les laboratoires directement aux chaines de fabrication des constructeurs. « Aujourd’hui ces produits là, tout le monde en a dans la poche. Dès qu’il y a un petit défaut, les gens n’hésitent pas à en faire part sur un blog ou sur les réseaux sociaux. Si les constructeurs de produits finaux ne veulent pas qu’il y ait de hiatus liés à un problème d’écran ou de batterie, ils doivent faire le maximum de mesures. Et qui dit le plus de mesures possibles, dit tester chaque composant sur la chaine de fabrication directement ».
De quelques dizaines à plusieurs milliers par an
À partir de 2014, l’équipe travaille d’arrache-pieds pendant deux ans pour miniaturiser leur techno et baisser les coûts pour pouvoir produire en grande quantité et ainsi équiper les chaines de fabrication. Dès 2016, Eldim est contactée par quelques grands constructeurs de smartphones dont Apple qui souhaite mesurer chaque produit qui sort de sa chaine de fabrication. Le challenge est énorme. L’équipe n’a que quelques mois pour réagir.
« C’était vraiment un saut dans l’inconnu. Les quantités demandées étaient 50 à 100 fois supérieures à ce que nous avions l’habitude de produire. Il fallait repenser totalement l’organisation des équipes, réfléchir au personnel dont nous allions avoir besoin. On pouvait avoir quelques craintes. Ce n’est pas parce que notre produit répond à un problème, que nous allons pouvoir le fabriquer à des milliers d’exemplaires sans rencontrer de difficultés. Nous devions prouver que notre technologie était scalable ».
Pour organiser les équipes et permettre aux process d’être réglés comme du papier à musique, Thierry à l’idée de recruter un musicien : l’un des chanteurs du groupe d’enfants Les Poppys (qui chantaient notamment « Non, Non rien a changé en 1971 »). Ce n’est pas une personne qui maitrise la technicité des technologies développées mais ayant une bonne expérience dans la gestion des groupes, il apporte beaucoup de fluidité et d’efficacité aux équipes d’Eldim.
Le nerf de la guerre
L’opération est ambitieuse. Les besoins en financement sont multipliés par 10 ! Leurs partenaires de financement habituels (banques, Bpifrance…) voient donc arriver un dossier 10 fois plus gros que d’habitude. Cela suscite beaucoup de questions et réactions.
« Même si certains banquiers ont jugé que le risque était trop important, la plupart des banques ont cru en nous. Avec ce challenge, les questions de la faisabilité technique et de la montée en charge pouvaient en effet se poser. Mais nous nous préparions depuis plusieurs années déjà à ce type de commande. ».
En 2 mois à peine, Eldim réunit les fonds suffisant auprès des banques et réussit à honorer la commande dans les délais et de manière hyper fluide. A tel point que très vite, Apple passe une nouvelle commande. Cette fois le challenge est encore plus corsé : Eldim a deux fois moins de temps pour livrer les produits finis. Pas question de passer par les banques pour financer les besoins. Les délais de prise de décisions ne leur permettraient pas de respecter le timing imposé par la marque à la pomme. Thierry décide donc de faire appel à October, plateforme de prêt aux PME. Grâce à un peu plus de 1 100 prêteurs, Eldim réussit à réunir un million d’euros en 7 jours !
« Le gros avantage d’October c’est incontestablement leur organisation interne et la rapidité avec laquelle ils sont capables de prendre des décisions. Leur équipe, contrairement à une banque, ne travaille que sur des financements. Grâce au système du financement participatif de October, nous avons réussi à produire cette seconde commande en temps et en heure ! ».